mardi 6 mars 2012

Nicolas Sarkozy et la libération conditionnelle



Quand Nicolas Sarkozy tourne le dos aux recommandations adoptées par la France et ses 46 partenaires du Conseil de l’Europe



    En meeting à Bordeaux, le samedi 3 mars 2012, Nicolas Sarkozy, à la peine dans les sondages, a proposé de rendre plus restrictives les conditions d’octroi de la libération conditionnelle (LC). S’il était réélu, il rendrait impossible  toute LC avant que le condamné n’ait effectué les 2/3 de sa peine. En droit français, cette règle des 2/3 n’est imposée qu’aux récidivistes, les condamnés « primaires » pouvant bénéficier d’une LC  à 1/2 peine. Il en est ainsi depuis près de 130 ans,  cette mesure d'individualisation de la peine ayant  été instituée  par la loi Bérenger du 14 août 1885 (Loi sur les moyens préventifs de combattre la récidive).

Comprenne qui pourra ! 

   Rappelons pour mémoire, les résultats de la dernière enquête  réalisée par le Ministère de la Justice sur le devenir judiciaire de sortants de prison (libérés de 2002) : 5 ans après la libération, le taux de recondamnation  (toutes nouvelles peines confondues) est de 39 % pour les bénéficiaires d’une LC, contre 55 % pour les bénéficiaires d’aménagement hors LC et 63 % pour les fins de peine sans aucun aménagement.  Les taux de retour en prison sont les suivants : 30 % pour les bénéficiaires d’une LC contre 47 % pour les bénéficiaires d’aménagement hors LC et 56 % pour les fins de peine sans aucun aménagement.  A partir d’un tel constat, le président sortant prétend lutter contre la récidive en réduisant le recours à la LC. Comprenne qui pourra ! 

  Dans son article 126, la loi Guigou du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes  a reprécisé les conditions d’octroi de la LC : « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu'ils justifient soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d'indemniser leurs victimes. »

Nicolas Sarkozy contre les recommandations européennes  

   Sur ce point, comme dans bien d’autres aspects, la loi Guigou allait dans le sens de la recommandation du Conseil de l’Europe adoptée le 30 septembre 1999 par le comité des ministres sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Ce texte qui avait fait l’unanimité, à Strasbourg, se terminait par 3 recommandations afin de développer la LC : 

n°24. «  La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention [en fait la durée du temps passé sous écrou] mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté. »
n°25. « Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté  les meilleures conditions de soutien et d’aide aux délinquants ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable. »
n°26. « Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de  la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité  et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger, ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté  come  de options constructives  et responsables ».

   Ces propositions allaient d’ailleurs être approfondies dans une nouvelle recommandation, entièrement consacrée au développement de la LC et adoptée par le Comité des ministres, toujours à l’unanimité, le 24 septembre 2003. Dans l’étude menée par le Conseil de coopération pénologique  européen, à l’occasion de ces travaux, la France apparaissait, avec une proportion de LC à la sortie, parmi l’ensemble des condamnés de 10 %, comme la lanterne rouge, et ce  en compagnie, peu enviable, de la Moldavie (6 %), de la Macédoine (10 %) et de l’Albanie (11 %).  Cette proportion était  alors de 14 % en Belgique, 20 % au Danemark, 27 % au Portugal, 28 % en Suisse, 30 % en Allemagne, 31 % en Espagne,  et  de 100 % en Finlande et en Suède.  Dans ce dernier pays, la libération conditionnelle d’office aux 2/3 de la peine a été instaurée à compter du 1er janvier 1999.

    Aujourd’hui, l’administration pénitentiaire française n’est pas capable de fournir cette proportion  de sorties en LC par rapport à l’ensemble des libérations  de condamnés.  On sait seulement qu’en 2010, 8 167 LC ont été accordées à des condamnés écroués et qu’il y a eu, la même  la même année,  81 839 levées d’écrou,  mais on ignore le  nombre de sorties de condamnés. On peut donc seulement affirmer que la proportion est supérieure à 10 %.  

Les propositions de la gauche

   En novembre 2010,  Dominique Raimbourg (député socialiste) déposait  une proposition de loi instituant un « mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire ». Mais sa proposition comportait aussi un volet « Libération  conditionnelle ». Il prônait la suppression des restrictions d’accès à la LC à l’encontre des condamnés en état de récidive légale : pour les récidivistes comme pour les autres, la LC pourrait donc être octroyées lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine restant à subir.  A cela, deux arguments de bon sens : l’état de récidive légale est déjà pris en compte au niveau des peines encourues, les aménagements de peines ne sont pas une faveur accordée aux condamnés mais une procédure de libération par étape, sous la supervision du juge de l’application des peines et des conseillers d’insertion et de probation afin de prévenir la récidive. Les récidivistes en ont tout autant besoin - sinon plus - que les non récidivistes.

    Par ailleurs, le projet de Dominique Raimbourg visait à instaurer une libération conditionnelle systématique dès lors que les 2/3 de la peine seraient effectuées, sauf avis contraire du juge d'application des peines. Cette précision est d’importance : « sauf avis contraire du Jap ». Il ne s’agit donc pas d’une LC d’office comme en Suède. Votée par l’ensemble des députés de gauche – dont un certain François Hollande -  et les Verts, cette proposition fut, bien entendu, rejetée par la majorité U.M.P.  Affaire à suivre donc.   

Souvenir personnel

 En 2004, j’ai eu l’honneur d’être nommé rapporteur sur la LC, à  la Conférence des directeurs d’administrations pénitentiaires des Etats membres du Conseil de l’Europe qui s’est tenue à Rome, du 25 au 28 novembre. Directeurs et experts scientifiques furent reçus, en audience privée, par Jean-Paul II. Je l’entends encore faire, de sa voix quasi inaudible, un plaidoyer très argumenté en faveur de la libération conditionnelle… 

PVT