lundi 10 octobre 2016

Peut-on progresser en mettant la charrue avant les bœufs ?


Association « DES Maintenant en  Europe »

« Le courage en politique n’est pas toujours perdant »

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9 octobre 2016

Communiqué  de l’Association DES Maintenant en Europe
à la suite du rapport du Garde des Sceaux « Pour en finir avec la surpopulation carcérale »     

   Pour l’essentiel, « DES Maintenant en Europe », partage les analyses développées par Alexis Saurin, président de la FARAPEJ, dans son éditorial de la lettre d’informations n°29 de la Fédération que nous reproduisons infra.  Nous regrettons, tout particulièrement,  que le Garde des Sceaux  n’ait pas été au rendez-vous du 15 août 2016 (1) prévu dans l’article 20 de la loi du 15 août 2014 :  le Gouvernement s’était engagé à remettre un rapport au Parlement, dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, soit le 16 août 2016, « étudiant la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue, et évaluant les effets possibles d’une telle évolution sur les condamnations prononcées ainsi que ses conséquences sur la procédure pénale ». 

      Ce rapport d’évaluation de la contrainte pénale et de la libération sous contrainte que l’on nous promet désormais pour fin octobre, aurait bien évidemment dû précéder toute considération sur la nécessité de construire de nouvelles places de prison.  Sur la base du peu de statistiques  disponibles (2),  nous savons  que cette nouvelle sanction « dans la communauté » et cette nouvelle mesure de libération anticipée sont très peu prononcées par les juges, alors qu’elles avaient vocation à prévenir la récidive de par leur nature et de par la baisse de la surpopulation qu’elles devaient logiquement produire.  

     Il y a urgence à prendre les décisions qui s’imposent pour que la loi du 15 août 2014 soit enfin appliquée (3).               
        
(1)  Voir Lettre ouverte au Garde des Sceaux du 1er mars 2016 « Donner à la contrainte pénale toute sa portée : le rendez-vous du 16 août 2016 » signée par nombre d’organisations et de personnalités.
(2)   Voir données en pièces jointes .
(3)  Inflation carcérale au 1er septembre 2016  : + 2 700 détenus en plus en un an  ( dont + 2 000 pour les prévenus),  surpopulation carcérale : 13 800 détenus en surnombre dont 1 439 dorment sur un matelas posé à même le sol. 39,5 % de l’ensemble des détenus bénéficient d’une cellule individuelle.
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Source : Lettre d'informations n°29 de la FARAPEJ, Alexis Saurin, président
    « Pour en finir avec la surpopulation carcérale ?

Alors que la population carcérale atteint des records (69 675 personnes), le Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a remis au parlement, le 20 septembre dernier, un rapport sur l'encellulement individuel, intitulé « Pour en finir avec la surpopulation carcérale ». Si la FARAPEJ partage de nombreuses analyses qui sous-tendent le rapport (importance de l'encellulement individuel, nécessité de se pencher sur la vie en prison et sur la préparation à la sortie, nécessité d'une politique réductionniste), notre fédération ne peut pourtant valider les conclusions et préconisations de ce rapport. Alors que le rapport propose une analyse fine et précise de la situation - notamment une analyse des moyens d’une politique réductionniste - les conclusions soumises au parlement, dont les évaluations des besoins en places de prison, privilégient la construction. Elles font l’impasse sur une grande partie des analyses développées dans le rapport lui-même et sur des travaux précédents. Enfin, elles ne tiennent pas compte notamment du rapport Raimbourg de 2013 sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale ou des conclusions du jury de la conférence de Consensus, sans parler du tout récent livre blanc sur le surpeuplement carcéral du Conseil de l’Europe.

    Il faut réduire

Pourtant, dans le contexte de forte inflation carcérale que l’on connaît depuis quarante ans, c’est en s’interrogeant sur la place de la prison plutôt que sur le manque de places de prison qu’on pourra résoudre le problème à moyen terme. Toute solution qui prévoirait la construction de prisons, sans s’attaquer à l’inflation carcérale ni engager une politique réductionniste, serait vouée à l’échec car elle s’attaquerait au symptôme et non aux causes du problème. Le rapport se conclut en affirmant qu'il faut « en finir avec les bonnes intentions, quitter le royaume des incantations et agir. Il ne suffit pas de camper au pied des murailles, il faut donner l’assaut. » Prenons-le au mot : La FARAPEJ propose depuis fort longtemps la mise en place d’une politique réductionniste, passage obligé pour en finir vraiment avec la surpopulation carcérale, en suivant les pistes suivantes: 1. Considérer que la population carcérale n’est pas une donnée intangible à laquelle on doit s’adapter mais un facteur sur lequel on peut, et doit, jouer, par la réforme du système pénal. 2. Mettre en place un plan pluriannuel réductionniste impliquant l'ensemble des acteurs  (magistrats, pénitentiaires, magistrats, secteur de l’insertion, dispositif de prévention, …) et déterminant un objectif de baisse de la population carcérale, planifié dans le temps. 3. Cette politique réductionniste devrait, pour être efficace, s’articuler selon trois axes : (i) l’instauration d’un numerus clausus qui se mettrait progressivement en place et manifesterait notre intolérance absolue à la surpopulation carcérale, (ii) la réduction des entrées, notamment par le développement des sanctions appliquées dans la communauté et (iii) la réduction des durées de détention, par le développement des aménagements et l’engagement d’une réflexion sur l’échelle des peines.

    Et s’il fallait malgré tout construire ?

Selon l'ambition du plan de baisse déterminé, la réduction suffira, ou non, à résorber la surpopulation carcérale sans construction supplémentaire. Si l’ambition du plan de baisse de la population carcérale n’était pas suffisante (c’est-à-dire si on ne la fait pas passer en dessous des 55 000 personnes détenues environ), résoudre la population carcérale ne pourra se faire sans construire des places de prison. Dans cette hypothèse, deux points nous semblent essentiels : (i) un plan de construction ne saurait être acceptable s’il n’est conditionné par l'engagement de la baisse effective de la population carcérale (sinon, continuera de courir derrière l’inflation carcérale comme depuis quarante ans) et (ii) les constructions (et rénovations) prévues devraient permettre d’y respecter l’encellulement individuel, mais bien plus largement d’y appliquer les règles pénitentiaires européennes. (Sur ce point, le rapport Urvoas fournit des pistes mais est loin de fournir de garanties.) En résumé, s’il fallait construire, on ne saurait continuer à construire n'importe comment ni n'importe quoi !

     Les obstacles à la baisse

La FARAPEJ est convaincue que nous disposons des moyens d’une baisse importante de la population carcérale. Les magistrats semblent avoir été peu sensibles aux évolutions récentes, mais ce n’est pas une fatalité : la mise en place d’un numerus clausus va justement dans ce sens. Le principal obstacle à une baisse se résume simplement en trois points: (i) l’hystérisation actuelle de notre société sur les questions pénales et plus largement de sécurité, dans un contexte où notre société est évidemment et légitimement bouleversée par les attentats terroristes de ces derniers mois, (ii) l’utilisation, depuis bien plus longtemps, du débat sur la question pénale à des fins principalement politiciennes et pour tout dire assez démagogiques et (iii) le manque de courage politique de ceux qui pourraient, ou auraient pu, faire changer les choses.

    Nos moyens d’action

Dans ce contexte, il est important que la FARAPEJ fasse part largement de ses analyses et des solutions que, sur le terrain, chaque associations développe  sur le terrain, souvent avec des moyens pourtant dérisoires. Il est essentiel aussi que les membres de la FARAPEJ continuent, comme l’écrivait Jean Hoibian à la création de la fédération, de “se sent[ir] responsables de l'ignorance de leurs contemporains concernant les questions prison et justice. Cette ignorance est utilisée par une certaine politique dite "sécuritaire". Nous essayons donc, dans la mesure de nos moyens, de sensibiliser les habitants de notre ville en organisant des occasions d'information, de réflexion et de sensibilisation (expositions, conférences, débats, enquêtes, spectacles divers, etc.)” et que nous allions parler du fait que nous nous “méfi[ons] terriblement de la sanction prison” et que “nous souhaitons ardemment une transformation profonde de la vie en prison”. Les JNP arrivent, certaines cartes sont entre nos mains ! »
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